Manifeste pour une administration innovante

les actes du colloque : http://www.eurogroup.fr/IMG/pdf/Etude-InnovationManagmtWEB.pdf

L’avenir de l’administration publique et des services qu’elle rend aux citoyens sera à n’en pas douter un sujet central de débat pour les prochaines élections présidentielles. Ce débat me semble trop concentrer sur la question du plus ou moins d’actions publiques, du plus ou moins de fonctionnaire. Or face aux multiples défis auxquels l’administration française doit faire face, l’obsession des décideurs publics doit d’abord se porter sur l’innovation dans le secteur public, seul chemin possible pour revitaliser l’action publique en sachant allier le plus et le moins.

Quels sont les trois défis majeurs qui imposent le management de l’innovation comme un sujet prioritaire dans l’agenda des décideurs publics ?

Premier de ces défis, adapter les services publics à la demande et aux nouveaux besoins des usagers. Pour un grand nombre de services publics (petite enfance, prise en charge de la vieillesse, service public de la santé, enseignement supérieur, sécurité pour n’en citer que quelques-uns) le compte n’y est pas et les enjeux de ces adaptations sont souvent tellement importants que seule l’innovation radicale permettra de faire face à ces défis.

Deuxième défi, et pas des moindres, répondre à la pression financière sans précédent qui s’abat sur l’administration. Face au déficit public d’aujourd’hui et très probablement de demain, la réponse du comptable est simplissime : soit on réduit de 25% les dépenses (est-ce à dire fermer un quart des écoles primaires sur le territoire ou des commissariats ?) soit on augmente de 35% les recettes (faut-il passer la TVA à 40% ?). Evidemment la teneur du débat ne peut pas tenir dans cette opposition stérile entre le plus et le moins et, là encore, il faut complètement réinventer la façon dont on délivre le service public et la façon dont les citoyens participent équitablement à son financement.

Troisième défi, remobiliser les fonctionnaires et de redonner du sens à l’action publique. Il est grand temps de regarder l’action publique non pas seulement au prisme de la réduction de la dépense ou de l’augmentation des moyens mais d’abord comme une action moderne, voire avant-gardiste, préparant et protégeant nos concitoyens au monde de demain. Les décideurs publics ont l’impérieuse nécessité de faire de l’innovation un axe central de management des fonctionnaires pour les inciter à inventer l’administration de demain.

Bien évidemment de nombreuses initiatives innovantes ont été déjà engagées par l’administration en termes d’innovation de service ou d’organisation. Mon propos n’est donc pas d’appeler au grand soir de l’innovation au sein de l’administration mais uniquement d’inviter les décideurs publics à changer rapidement de braquet.

Est-ce si aisé de faire du manager public un manager de l’innovation ?

Je ne suis pas naïf, faire du manager public un manager de l’innovation de plein exercice n’est pas chose aisé.

D’abord du fait de l’effet taille, l’administration est une immense machine au sein de laquelle il n’est pas facile de faire émerger des idées innovantes et de nouvelles façons de faire. Dans les très grandes organisations, publiques comme privées, le manager risque souvent l’ensablement.

Par ailleurs, nous attendons de l’administration qu’elles appliquent ou fassent appliquer des règles et qu’elles respectent un certains nombres de principes comme l’égalité de traitement et autres fondamentaux de l’action administrative qui peuvent paraître à premier égard comme assez éloignés du management de l’innovation. Le manager public s’il peut prôner l’innovation doit aussi être garant de stabilité dans le temps et l’espace.

De plus l’acceptation de l’échec ne bénéficie pas encore d’un regard bienveillant au sein de l’administration. Or sans droit à l’erreur il ne peut pas y avoir de management de l’innovation. Enfin à trop vouloir inculquer au manager public la culture de la performance, de la productivité et de l’amaigrissement les décideurs publics ont pu, parfois, oublier de leur inculquer aussi le désir de mieux servir et la fierté de pouvoir inventer l’administration de demain. A force de cures d’amaigrissement engagées ou souhaitées, que reste-t-il de la passion de servir ?

Alors bien-sûr le chemin est difficile mais je le crois nécessaire et je le sais possible.

Comment faire ?

Les responsables politiques comme les dirigeants de l’administration doivent selon moi se fixer 4 priorités :

Première priorité : inclure dans la feuille de route de toute administration une réelle ambition en termes d’innovation en spécifiant pour chaque administration les territoires prioritaires d’innovation à conquérir. Ces territoires, peu nombreux, doivent permettre de fixer un cap et de concentrer les énergies créatives. L’innovation doit être au cœur de la stratégie de l’appareil administratif français.

Deuxième priorité : adapter progressivement les processus de gestion des ressources humaines de l’administration aux besoins du management de l’innovation : processus de recrutement favorisant la diversité des profils notamment au plus haut niveau de l’Etat, acceptation de la prise de risque, valorisation de l’innovation dans le parcours professionnel et formation des managers intermédiaires au management de l’innovation. Le management de l’innovation doit être un levier puissant de transformation des pratiques managériales au sein de la fonction publique.

Troisième priorité : favoriser la confrontation d’idées par des échanges plus réguliers et plus simples avec le monde extérieur : administrations étrangères, usagers, entreprises sociales, entreprises privées innovantes,… Autant de partenaires potentiels qui peuvent être apporteur d’idées « rafraîchissantes » et « revitalisantes » pour l’administration française. Le management de l’innovation est d’abord un mouvement de confrontations d’idées et d’expérience sans préjugés ni tabous.

Quatrième priorité : créer, au sein des différentes administrations, des lieux physiques dédiés à l’innovation et à la transformation du secteur public, accessibles à l’ensemble des managers publics. Conçus sur le modèle des laboratoires et des studios d’innovation des grandes entreprises privées, ces espaces seraient des lieux d’échange et  de recherche, ils devraient permettre de conduire des expérimentations et de favoriser l’animation des fonctionnaires sur le thème du management de l’innovation.

Cet appel au développement du management de l’innovation au sein de l’administration est par définition ouvert et je suis convaincu que les priorités d’actions que je propose sont à portée de main de l’administration française : elles sont mobilisatrices pour l’ensemble des fonctionnaires et leur coût ramenés aux enjeux auxquels ces actions peuvent permettre de répondre sont minimes. Il s’agit ni plus ni moins de reconstruire notre administration pour préserver le service public et une certaine idée française de l’intérêt général et pour renforcer l’attractivité de notre territoire par des services publics performants et innovants.

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